Dans ce scénario, découvrez le Québec en 2050, alors que le modèle économique est devenu majoritairement circulaire. Découvrez dans cette courte scène certains aspects de la transition qui semblent souhaitables et d’autres, plutôt redoutables. Cette immersion en 2050, inspirée du diagnostic prospectif réalisé par des expert.e.s dans le cadre de la démarche de feuille de route participative du RRECQ, se veut facilitatrice pour imaginer collectivement un futur circulaire souhaitable.
En direct du bureau virtuel de Global Power
Gina se connecte à son bureau virtuel de la Global Power inc., qui contrôle 28% du flux mondial du lithium. L’entreprise fait partie des Global leaders, cette toile de multinationales « circulo-intégratrices » créées il y a vingt ans, quand les investisseurs ont perçu les risques d’une économie gaspilleuse et polluante. Ces Global leaders avaient alors une telle longueur d’avance en termes d’intelligence artificielle et de données qu’ils ont su capter les meilleures sources de matières disponibles et leur trouver les marchés les plus rentables. Aujourd’hui, ces multinationales gèrent la majorité de l’offre et la demande de matériaux, de produits ou d’infrastructures en temps réel. Leurs activités s’étendent de la gestion des ressources naturelles (forestières, minières, énergétiques, agricoles, etc.) aux marchés de seconde main, autrefois négligés. Ils s’appuient sur leurs outils numériques pour gérer les défis liés à la main-d’œuvre en ciblant les ressources humaines disponibles à l’échelle mondiale et en offrant des formations rapides à distance traduites dans plusieurs langues. Ils intègrent également des robots et l’intelligence artificielle (IA) lorsque cela s’avère plus efficace.
Gina a une rencontre ce matin avec un regroupement de PME québécoises pour renégocier leur contrat de fournisseurs. Elle a prévu commencer par leur rappeler la principale valeur corporative à laquelle ils doivent adhérer: Nous ne tolérons pas les pertes de matières.
Elle a ensuite prévu leur décrire les opportunités d’amélioration repérées par leur système d’IA pour réduire les coûts d’approvisionnement sur l’ensemble de la chaîne :
- des innovations pour écoconcevoir certains de leurs produits, qui permettront de réduire (encore!) la quantité de matières premières consommées ou de faciliter leur entretien, leur réparation et leur démontage;
- des technologies de pointe à adopter par les centres de recyclage : les nouveaux matériaux qui pourront ainsi être recyclés devront ensuite être réintroduits par les PME manufacturières;
- une meilleure efficacité sur toute la chaîne : comme la majorité des produits mise en marché demeurent la propriété de Global Power, qui les louent aux consommateurs, la multinationale a tout intérêt à prolonger au maximum leur durée de vie.
Mais l’IA a repéré plusieurs failles à cet égard : certaines PME n’ont pas assuré un assez bon entretien préventif, d’autres pourraient encore optimiser leurs déplacements, des reconditionneurs ont envoyé aux recycleurs plusieurs pièces qui auraient pu être réutilisées par les manufacturiers…
Coup de fil de Gina à son père
Gina est interrompue par une alerte lui rappelant l’anniversaire de son père, qu’elle s’empresse d’appeler. Comme à chaque fois, son père lui évoque leur vie ensemble en banlieue quand Gina était enfant dans les années 2020. Il lui raconte leurs vacances en auto et caravane en Gaspésie en 2020, pendant la première pandémie. Il lui dit que c’était le bon temps. Imagine, l’essence était à 1,50 dollar le litre ! Les augmentations vertigineuses des coûts de l’énergie l’ont mené, comme des centaines de milliers d’autres Québécois, à vendre à perte la vaste maison familiale en banlieue. Il s’est installé dans un petit 4 1/2 bien isolé et bien connecté au centre-ville, et s’habitue tant bien que mal à cette proximité forcée avec ses voisins, sans parler du transport en commun! Sachant à quel point il a du mal à boucler ses fins de mois, elle lui offre une épicerie complète en guise de cadeau et s’empresse de raccrocher… elle en a plus qu’assez d’entendre ses amis, collègues et voisins se plaindre de toute cette abondance perdue! Ils ne réalisent pas que sans cette sobriété mesurée et calculée, soutenue par les algorithmes, nous n’aurions pas accès à tant de biens et de services !
Gina est tirée de ses pensées par le bruit de manifestants qui défilent dans la rue, scandant toujours les mêmes refrains année après année. Elle doit reconnaitre que le coût de la vie est vraiment élevé, et que le filet social s’amenuise suite à la privatisation de nombreux services publics. Cette foule de personnes démunies lui fait penser à son frère, qui a choisi de vivre en autarcie loin de la ville, dans une sorte de commune faisant partie d’un réseau de révolutionnaires déterminés qui sabote des installations qu’ils disent « écocides ». Gina ne comprend vraiment pas ce qu’il fait là-bas. Il lui a écrit une lettre (qui écrit une lettre de nos jours?) il y a un an pour expliquer à Gina qu’il ne comprenait pas sa vie à elle, que lui préférait une vie de simplicité avec quelques personnes qui partagent ses valeurs, plutôt que d’être à la solde de multinationales qui s’accaparent nos précieuses ressources, pour nous les revendre à prix d’or… Elle se rassure rapidement en se disant que la majorité de la population n’embarquera jamais dans sa lubie : on n’aime pas partager nos biens, nos logements. C’est tellement plus hygiénique, fiable et efficace quand la distribution de produits est gérée par une entreprise ! Cette pensée la ramène brusquement à la réalité : plus que 20 minutes avant sa rencontre avec les PME.
– FIN –